LOren the storyteller
Animatrice des podcasts « The why, le poukwa » et « tell’em Loren » , Loren nous parle du besoin de s’exprimer des "minorités", de son amour pour l’art et de l’importance des nouveaux médias alternatifs en France. Loren, c’est cette jeune femme aux milles-et-une casquettes, si multiples qu’on pourrait presque si perdre. C’est cette jeune étudiante en école de comédie musicale (chant, danse, théâtre), qui sort de 5 ans de fac de droit. Mais aussi cette jeune hyper active qui travaille avec les enfants la semaine et dans un musée les week-ends pour gagner sa vie. Un quotidien qui parait improbable et qui pourtant représente bien la jeunesse d’aujourd’hui. Habitant en banlieue parisienne, elle trouve le temps d’effectuer une halte chez moi, à 9 heures du mat’, pour prendre un thé, avant de retrouver son quotidien qui frise la démence. Bref, Loren c’est ce genre de personne époustouflante dont la détermination et les compétences vous subjuguent à chaque fois que vous lui parlez... une véritable héroïne des temps modernes. Elle arrive, on se pose, on parle du temps maussade, de notre quotidien épuisant, de l’actualité raciste de ces dernières semaines et de la difficulté d’être afro- française. D’ailleurs, c’est ces réalités là qu’elle a brillamment réussi à introduire sur la place publique grâce à ses podcasts. Nés de son amour pour l’expression de soi à travers toutes ses formes et du manque de diversité dans le paysage médiatique français, elle crée, sur un coup de tête, avec son meilleur ami Julien, « The why: Le poukwa » en avril 2016. Dans cette émission d’une heure et demi, entre discussion et débat, adoptant un registre journalistique et « drolistique », ils abordent principalement le rapport de la communauté africaine avec les autres communautés et les problématiques au sein de celle-ci. Ils traitent également de sujets qui les passionnent comme les bouquins, le fantastique, la musique, le cinéma, et pleins d’autres thématiques, mais cette fois-ci, du point de vu d’un jeune afro-français. Elle m’explique: « on a l’impression qu’il n’y a pas de différence entre, par exemple, un jeune français blanc et un jeune français noir qui vont lire Harry Potter mais en tant que française noire ayant grandi en région parisienne, je ne vais pas avoir le même imaginaire qu’un français blanc ayant grandi dans le nord de la France. » Elle va plus loin en continuant sur l’oeuvre de J.K. Rowling ayant marqué la génération Y : « On s’est rendu compte en discutant entre amis qu’on pouvait avoir des lectures différentes de l’oeuvre. Notamment, beaucoup ont associés à l’Allemagne nazi le sort des elfes de maison et toute la problématique entre les sang- de-bourbes et les sang purs, ce qui n’est pas spécialement faux, mais la première chose à laquelle j’ai pensé c’est à l’esclavage et à la colonisation. » Effectivement, leur podcast, qui rencontre un petit succès sur la toile, répond au besoin criant d’identification de la jeunesse afro-française. Il exprime le ras-le-bol vis-à-vis du manque de représentation par les médias traditionnels sauf de manière caricaturale le peu de fois où c’est le cas. Enfin, ils créent un « safe-space » dans lequel ils peuvent parler de négrophobie, de micro-agressions, de racisme systémique, de « white-supremacy », de néocolonialisme etc. sans qu’un pseudo spécialiste, ne vivant pas ces réalités, argumente en expliquant que la question raciale n’existe pas en France et que c’est une lutte de classes, sans que le seul invité noir se fasse hurler dessus car s’en est trop de la victimisation, sans que le faux débat du racisme anti-blanc fasse son apparition dans cette cacophonie mêlant paternalisme, vanité et oppression. Cependant, « the why » c’est surtout deux potes très complices avec un humour débordant et une capacité d’analyse captivante qui arrivent à la fois à nous faire rire de situations tragiques et à développer notre réflexion sur des sujets qui semblent anodins. « The why » fait du bien et apaise. Le duo va, d’ailleurs, ouvrir la voie à de nombreux podcasts afro-français apportant des points de vus différents. Toutefois, Loren commence à se sentir à l’étroit dans « The why » , ce qui la pousse à commencer un podcast personnel en octobre dernier. En effet, être noire en France, c’est vivre un quotidien d’interactions qui renvoient, systématiquement, un individu à sa couleur de peau. Finalement, elle se rend compte que sa posture militante l’emprisonne, quelque part, elle aussi, dans son identité de noire. Bien que dans « The why », ils incorporent des références variées, Loren me confie son besoin de parler d’autres choses: « Quand je pense à tous les sujets qu’on aborde dans « the why », je me demande pourquoi on ne pleure pas tout le temps... J’avais besoin de parler d’autres choses. Je commençais à avoir l’impression d’être juste une noire qui parle de son expérience de noire. Sauf que je ne suis pas que ça. Je voulais montrer à notre audience que nous sommes plus que ça et que ce n’est pas parce que certaines personnes souhaitent nous emprisonner dans un stéréotype que nous devons nous y cantonner. Nous sommes des individus qui en plus d’être noir font et aiment une multitude d’autres choses. » Nous sommes ravis de cette prise de position, sans laquelle nous aurions sûrement été privés de son merveilleux talent pour le story-telling. En effet, « Tell’em Loren », c’est un podcast innovant proposant un thème par mois, quatre podcasts de 5 à 15 minutes par semaine et une histoire par podcast. C’est également des compositions musicales en background, des anecdotes, et de la réflexion en guise de conclusion. C’est, entre-autres, une invitation au sein de son esprit curieux qui observe avec précision chaque instant de la vie, du rythme de la goute d’eau qui tombe de manière régulière le long de la gouttière à la feuille frigorifiée qui frémit sous nos bottines en cuir pressées de retrouver l’été. Son premier thème, « nostalgie » nous accompagne dans la douceur mélancolique du mois d’octobre. Les trajets de métro se font plus agréablement, le coucher sur sa voix suave nous rappellent nos souvenirs d’enfants. Elle nous berce faisant preuve d’un lyrisme renversant exalté par sa facilité à trouver le conflit et le drame dans n’importe quelle narrative. Au-delà d’une exploration exquise de plusieurs aspects de sa personnalité, « tell’m Loren » est le résultat d’années de remise en question, d’apprentissage et de création artistique. Elle me raconte: « A un moment, j’étais très frustrée parce que je suis quelqu’un de très créative et productive mais je n’avais pas accès aux opportunités qui y sont liés. J’ai commencé la musique, sérieusement, il y a quatre ans. J’ai beaucoup ramé parce que j’avais aucune formation dans le domaine. J’ai tout appris sur youtube! Ces trois dernières années, j’ai beaucoup créé mais je n’ai rien publiée parce que j’avais peur. Je ne savais pas non plus dans quel contexte diffuser ma musique et par quels moyens. Mais depuis que j’ai ce podcast, j’ai la possibilité d’y intégrer des créations que j’ai pu faire il y a deux ans comme il y a trois jours. Les médias alternatifs nous donnent accès à des opportunités, compétences auxquelles on ne pouvait pas accéder avant et je trouve que c’est magnifique.» Finalement, Loren utilise ses deux podcasts pour prendre sa place dans un univers médiatique souvent trop cloisonné. Elle s’en sert également afin de remettre « l’humain au coeur du média ». Lors de notre discussion, elle mentionne les « vraies personnes », à plusieurs reprises, pour désigner les personnes qui animent ou interviennent dans les nouveaux médias alternatifs. En outre, on peut affirmer que ceux-ci se distinguent dans la mesure où ils ne suivent aucune ligne éditoriale imposée et ainsi peuvent mettre en avant des profils qui ne correspondent pas forcément à la norme dominante visée par les médias traditionnels. L’été dernier, « the why » entame une série de podcasts intitulée « identité multiple ». Dans celle-ci, ils reçoivent des invités qui sont noirs et un autre « label ». Par exemple, « Noir et gay » , « Noire et juive » , « Noire et metalleuse » . L’idée de ces thèmes est d’inviter une personne, portant des identités qui semblent improbables, afin qu’elle raconte son histoire. Ces émissions ont suscité beaucoup d’engouement provoquant une déferlante de réactions qui rappellent la « twittosphère ». Si d’autres pays ont compris la tendance, l’hexagone n’est pas encore prêt à ce grand tournant. Alors que le débat sur les problématiques identitaires et sociétales s’est largement démocratisé dans l’univers digital par le partage d’expériences, les médias traditionnels sont toujours incapables d’aborder certains sujets. Ainsi, on se retrouve avec des médias complètement déconnectés de la réalité. Par conséquent, de plus en plus de personnes se tournent vers les médias alternatifs qui permettent d’avoir accès à des informations plus spécifiques sur un sujet en particulier. Néanmoins, créer un nouveau média n’est pas chose facile. Si quelques podcasts afro, arrivés plus tard, ont pu bénéficier du soutien de plus gros médias, pour le cas de Loren, beaucoup de projets ont du mal à se mettre en place dû au manque de soutien financier. « On a toujours pleins d’idées mais avec le manque de financement on est obligés de se cantonner aux podcasts. On aimerait bien rencontrer notre audience, notre audience aimerait bien se rencontrer, participer, discuter avec nous. Puis c’est bien de parler de diversité mais il faut la montrer aussi. Faire des podcasts ne rapporte rien quand on n’est pas, au moins, sponsorisé. De plus, la création de contenu engendre forcément de l’investissement, le but n’est pas d’avoir un retour sur investissement mais un peu de financements nous aiderait à faire plus pour ceux qui se reconnaissent dans ce qu’on dit. » Sur ces derniers souhaits, on vous laisse retrouver les podcasts « The why, le poukwa » et « Tell’em Loren » en espérant que Loren trouvera le soutien nécessaire afin de pouvoir nous faire vibrer encore plus intensément. |